Marie n’aurait jamais voulu être là. Elle déteste son histoire personnelle autant qu’elle déteste le camp de déplacés de Kigonze, en bordure de la ville de Bunia, chef-lieu de la province de l’Ituri, dans le nord-est de la république démocratique du Congo (RDC), où elle vit aux côtés de 14 000 autres personnes. En 2019, «mon village a été attaqué par des membres de la communauté Lendu, ils nous ont découpé à la machette, ils nous ont tué à coups de fusils, ils m’ont pris mes bras», raconte-t-elle dans un rythme effréné.
Devant la diplomate onusienne Bintou Keita, cheffe de la mission de maintien de la paix en RDC (Monusco, Mission de l’organisation des Nations unies pour la stabilisation en république démocratique du Congo), la rescapée retrace une énième fois son parcours, cette attaque et son infirmité, qui l’ont amenée à devenir – à contrecœur – l’une des porte-parole des femmes déplacées. Deux jeunes filles l’accompagnent. L’une, peut-être âgée de 6 ans et le visage balafré par un coup de machette, se cache derrière Marie. La seconde, à qui des miliciens de la Coopérative pour le développement de la RDC (Codeco), un mouvement «mystico-armé» qui sévit dans l’est de la RDC, ont coupé un bras, entre à peine dans l’adolescence. En fond sonore, la voisine de Marie répète inlassablement «faim, manger, faim…»
Malgré la présence d’au moins quatre bases des Casques bleus dans la zone ainsi que des forces armées congolaises, Marie ne se sent toujours pas en sécurité à Bunia. «Des gens ont été tués à deux kilomètres d’ici», précise-t-elle. L’Ituri, province qui borde l’Ouganda et le lac Albert, est secouée depuis près de vingt ans par des conflits fonciers et communautaires de basse intensité, qui connaissent ces derniers mois une nouvelle flambée de violences. Selon une note interne de la Monusco, 419 civils ont été tués entre le 1er décembre et le 15 février, dont 49 enfants. «A chaque fois, on nous regroupe pour parler de la situation, mais jamais rien ne change», s’emporte la quadragénaire une fois la délégation partie.

Marie n’est pas la seule à mettre en doute l’efficacité de la mission de maintien de la paix, la plus ancienne et la plus chère de l’histoire de l’ONU, créée en 1999. Autre région, autre contexte, même réalité pour Hélène, 22 ans. En octobre, après avoir fui les combats opposant l’armée congolaise aux éléments du groupe rebelle du M23, elle s’est installée près de la ville de Goma, capitale sécurisée du Nord-Kivu. «La Monusco est soi-disant venue ici pour nous apporter la paix», lâche la jeune femme, originaire du territoire de Rutshuru, aujourd’hui occupé par le M23. Là-bas, les Casques bleus, dont un pilier du mandat est la protection des civils, ne se sont pas interposés. «Nous, au contraire, nous percevons la Monusco comme les gens qui nous amènent la guerre», ajoute Hélène.
Une réelle et profonde crise de confiance existe entre les Congolais et les soldats de la paix. «Après beaucoup d’années de mission, il faut reconnaître que c’est un échec, et ils le reconnaissent. Je ne suis donc pas surpris de voir des jeunes manifester contre la Monusco», tance Jean-Marie Mushuganya, président d’une association culturelle de Goma. S’il est difficile de remonter aux origines de la grogne, un pic a été atteint en juillet. Lors de différentes manifestations anti-Monusco dans différentes villes de l’est de la RDC, 32 personnes ont été tuées et quatre Casques bleus ont perdu la vie.
Depuis, la tension demeure. Le 6 février, un Casque bleu sud-africain a été tué et un autre grièvement blessé par des tirs contre leur hélicoptère, au cours d’un vol en direction de Goma. Deux jours plus tard, un groupe de déplacés en colère a bloqué et assailli un convoi de la Monusco accompagné par des militaires congolais, lui aussi en route pour Goma, et mis le feu à plusieurs camions. Pour se dégager, les soldats onusiens ont procédé à des tirs de sommation qui ont fait trois victimes parmi les manifestants selon l’ONU, huit morts et une trentaine de blessés selon le gouverneur militaire du Nord-Kivu.
AFP via Le Patrimoine.info